23

CE PLAT QUI SE MANGE FROID.

Tu as déjà vu se lever des tempêtes ?

Un souffle surgit du fond de l'horizon, s'enfle, gronde, démesure ! Il bouscule la nature en vociférant ; sa force génère un ouragan, tout se courbe devant lui. Tout craque ! Je suis devenu cette tornade, ce séisme.

Je n'ai pas lâché les bras des deux guignolets devenus chiffes. L'investissement de leur domaine enchanté par les archers du guet achève de les écouiller. Ces faux durs sont devenus plus toutous que des chiens d'aveugles.

On a gravi le perron aux marches déglinguées, pénétré dans un hall couvert de nattes en raphia sur lesquelles des adeptes baisent ou prient.

Qui prient-ils ? Mystère. De l'incarnation ou de l'anthropomorphisme ? Étrange humanité ayant perdu ses repères ou, pour le moins, les pédales.

Assis en tailleur, un vieillard parcheminé joue aux osselets avec ses propres cartilages. Nous passons devant lui sans le faire sourciller.

On accède à une ancienne salle de billard, ceux-ci (il y en a trois) sont épluchés par les mômes qui font du trapèze sur les suspensions. Les parquets défoncés geignent sous nos pas. De hautes fenêtres aux vitres brisées laissent gambader des courants d'air.

Notre charge à travers la grande demeure à demi morte continue. Nos deux gendarmes du début, galvanisés comme si j'étais Rodrigue fonçant castagner les Maures, marchent à nos côtés, mâchoires géométrées par la détermination.

La salle de jeux franchie, nous tombons sur un petit couloir terminé par un escalier en colimaçon.

L'un des zouaves en noir s'y engage le premier, moi sur ses talons. Tu sais ce qu'est une vermine ? Note que je me tenais sur le qui-vive. Dans un virage, ce sous-produit de l'espèce humaine se cramponne à la rampe et me balancetique une ruade qui, si elle avait atteint mes mandibules, aurait rendu mes gencives chauves.

Hélas pour lui, l'œil était dans la tombe et regardait Caïn. Je me plaque au mur et place une bastos entre ses miches. Tu parles d'un suppositoire, Léonard ! Le petit fumaro choit à la renverse ; d'un coup de poing, je fais suivre à Jéjé qui, peu doué pour le jeu de culbutos, le virgule carrément par-dessus la rambarde, si bien que le zélé se paie une tartine de plancher pour grande personne.

L'incident a à peine perturbé notre grimpette. C'est pourquoi, en moins de jouge, nous déferlons dans la partie « intime » du château.

Une porte basse.

J'en actionne la poignée. Fermée de l'intérieur ! Ne me perds pas en états d'âme. Mon coup d'épaule la rend pantelante et je découvre un lieu étrange, puant l'encens et l'opium chauffé.

Pièce incongrue dans cette bâtisse délabrée car elle est capitonnée de tissus indiens et meublée dans le plus pur style Chandernagor. Des canapés gros comme des pachydermes, des statues de dieux à la con, des tableaux montrant des gens turbaneux, des tables graciles surchargées de porcelaines translucides, et toute une brandouillerie représentant des singes mutins à la queue en anse de théière.

Affalé sur un trône d'ivoire et de soie, imagine une espèce d'obèse bistre, vêtu de blanc, la chevelure grise. Des bagouzes enrichies de pierres ultra-précieuses alourdissent ses doigts. Il semble somnolent, ou recueilli. Le monstre tient un verre de whisky dans sa main droite en guise de ciboire et observe le néant avec attention.

Mécolle se tourne vers le troisième malabar :

- Je t'ai ordonné de me conduire auprès des prisonnières, j'ai rien à cirer de ce tas de merde !

- Mais c'est le grand maître ! glabatouille-t-il.

- Je ne fais aucune différence entre lui et un rat crevé du choléra. Où sont les filles ?

Le gonzier adopte le teint poireau (feuilles du haut).

- Demandez-lui. C'est la pleine lune, il a peut-être procédé au glorieux sacrifice !

Ces paroles me cryogénisent les roupettes pendulaires.

Un autre à qui elles produisent un effet identique, c'est Mister Blanchounet ! Il se jette sur le pape de la secte, lui prend son godet de scotch et le vide sur sa bouille frisée en gueulant :

- Où sont-elles ?

L'obèse semble sortir d'un songe.

Il s'informe auprès de l'acolyte rasé du dôme :

- Que ces gens sont-ils ?

- Des policiers, Grand Maître !

Il est en roue libre, le chevelu. Camé jusqu'aux paupières. Son entendement doit ressembler à un cloaque faisant des bulles.

- Les laisser pourquoi venir à moi ?

- Ils sont entrés de force !

Son hébétude se fissure pour faire place à une expression rusée.

- Le droit, ils n'ont pas ! déclare placidement le chef débloqueur.

Que vient-il de dire là ! Si ma patience a des limites, ma fureur, elle, n'en comporte aucune !

Tu verrais ce coup de saton qu'il déguste en pleine poire, William ! Son groin explose ; je me tourne vers nos deux fidèles motards.

- Écoutez, mes amis, leur lancé-je, nous jouons la montre et je vais employer TOUS les moyens : les vies de ma fille et de l'épouse de mon ami Blanc sont en jeu. Prêtez main-forte à vos camarades pendant que nous allons nous livrer à des exhumérances...

Ils pigent.

Demi-tourent. S'emportent ailleurs.

Vendredi est déjà en action avec le gussier que je viens de tatouer. Crac ! fait le manche à gigot du gars.

- Conduis-moi aux séquestrées ! poursuit le Noirpiot en le cueillant aux narines, de ses doigts en crochet.

A demi asphyxié, l'enfant de pute émet des gargouillances de conduite bouchée.

Mon éminent camarade lui agite la tronche dans tous les sens.

- En te réveillant ce matin, t'as pas eu le pressentiment d'attaquer ta dernière journée ? fait-il.

Littérature !

Plus le moment de confectionner du phrasé ! J'entreprends sérieusement le Roi Mage. Le hic avec ce cachalot camé, c'est qu'il n'a pas peur. Le genre tordu capable d'empoigner un tisonnier chauffé à blanc pour s'en gratter le dos.

Il me fixe de ses yeux d'hypnotiseur agréé par la faculté des fakirs sédentaires de Vaison-la-Romaine. J'y lis du mépris, mais pas la moindre crainte.

Nous allons bien voir.

Tu le sais : je ne fume pratiquement pas (si ce n'est un cigare à la Saint-Monzob), néanmoins je possède un briquet extra-plat orné d'une photo émaillée représentant M. Lepen en train de décorer un Arabe d'une médaille explosive. Actionne la molette et approche la flamme de la tunique immaculée.

Le feu part en régalade. Faut voir comme il investit le pote-en-tas ! Le déguisant en torche, instantanément.

A travers les hautes flammes, le gus continue de me renoucher sans broncher. Dès lors, Agénor, c'est moi qui chope les flubes ! J'arrache du sol un tapis qui passait par là et m'en sers pour éteindre l'incendié. Il me laisse faire avec indifférence.

Lorsque j'ai circonscrit le désastre (si j'avais été rabbin je l'aurais circoncis), le gourou ressemble à un sapin de Noël ayant pris feu. Il a les tifs roussis, la bouille noircie, le prose en évidence et la zigounette façon pickles dans un bocal de vinaigre.

Ça pue le goret cramé !

- Arrête ton barbecue ! me jette le Bronzé. Mon copain est disposé à collaborer !

Comme quoi, rien n'est inutile. Mes sévices n'ont pas réduit la volonté du Grand Vizir, mais celle du porte-coton. Son dalaï-lama à demi rôti constituant pour lui une vision intolérable, il a mis les pouces.


[San Antonio – 174] – Lâche-le, il tiendra tout seul
titlepage.xhtml
L_che-le, il tiendra tout seul_split_000.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_001.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_002.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_003.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_004.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_005.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_006.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_007.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_008.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_009.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_010.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_011.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_012.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_013.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_014.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_015.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_016.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_017.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_018.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_019.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_020.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_021.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_022.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_023.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_024.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_025.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_026.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_027.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_028.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_029.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_030.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_031.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_032.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_033.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_034.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_035.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_036.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_037.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_038.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_039.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_040.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_041.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_042.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_043.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_044.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_045.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_046.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_047.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_048.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_049.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_050.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_051.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_052.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_053.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_054.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_055.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_056.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_057.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_058.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_059.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_060.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_061.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_062.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_063.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_064.html
L_che-le, il tiendra tout seul_split_065.html